Expeditions : Conquistador
par skoeldpadda 06 Juin 2013 08:54 22

Dieu que la gestation de ce test fut dure. Initialement échoué à votre serviteur avant qu'un excès de lâcheté ne me fasse reculer, Expeditions Conquistador a ensuite tenté de séduire Killpower. Mais même les grands chefs gobelins ont des limites, surtout sur un sujet comme celui là. Pas fou, le Killou... Alors, épaulé par le rugissant AbounI, j'ai finalement rempli mon devoir. Dans la souffrance. Non que le jeu soit mauvais, loin s'en faut, mais il nous a fallu de longs débats, notamment sur sa nature propre ("Alors, c'est un jeu de rôle ou pas ?"), avant de finalement réussir à cerner le premier bébé des gars de Logic Artists. Un produit pour le moins atypique aux allures de RPG tactique hardcore, inspiré par les Heroes of Might & Magic, les Disciples et les King's Bounty.
DIS MOI QUI TU ES...
S'il n'y a pas cinquante compétences et qu'on évitera ainsi les maux de têtes, l'écran de création de Expeditions : Conquistadors fait peu d'effet des choses à venir : tactique (utile lors des combats), diplomatie (négociations et échanges), guérison (coût des soins des médecins), survie (diminue la consommation des rations), scoutisme (joue sur le mouvement journalier) et leadership (moral des troupes) sont vos maîtres mots. Aucune compétence physique, vous êtes un général, un vrai, et c'est vos petits soldats qui feront le boulot. Vous pourrez en choisir dix, chacun ayant son caractère. Les conquistadors ne sont pas des enfants de choeur, certains sont agressifs, d'autres ouvertement racistes, mais il peut se trouver dans le lot de ces explorateurs avides d'aventures et de découvertes plus enclins à la discussion qu'aux coups de tromblon. En plus de ce simili-alignement, les candidats à l'expédition sont divisés en classes. Docteurs, chasseurs, chercheurs, éclaireurs et soldats composeront ainsi votre troupe, dans les proportions que vous désirez (évitez toutefois de partir avec dix soldats, quelque chose me dit que ce ne sera pas très efficace.) Notez par ailleurs que vous pourrez obtenir des bonus de départ selon la composition du groupe.
Le nombre de dialogues et leur longueur ont l'avantage de nous immerger dans une atmosphère et une épopée historiques des plus convaincantes. Les textes qui défilent regorgent de descriptions des lieux, des situations ou des sentiments des gens face à vous. Il en ressort un fort agréable arrière goût de RPG textuel d'antan.
De plus, vos réponses ont une réelle incidence sur les dialogues et leurs issues. Ici, une indigène coupe court à la discussion quand elle découvre que vous êtes raciste. Là, une autre est enrôlée car vous avez su la charmer. Si vous ne prêtez garde à vos réponses, vous vous ferez même apostropher en pleine ville parce que vous avez, totalement involontairement, insulté la femme d'un noblion local deux heures plus tôt. Selon vos choix, des situations s'ouvrent et se ferment à la volée, parfois sans que vous vous en rendiez compte. De là à penser que l'histoire pourra être rejouée et revécue d'une toute autre manière, il n'y a qu'un pas. Certaines options restent toutefois limpides et influencent de manière bien plus visible votre progression. Ainsi, lors de la visite d'un lieu sacré pour les indiens, la résolution de la quête pourra se faire diplomatiquement ou violemment, occasionnant deux résultats différents auprès de vos missionnaires, résultats qui vous suivront tout au long de votre aventure. A vous de choisir si vous préférerez être considéré comme une brute sanguinaire ou avoir une étiquette d'habile négociateur.
De la même manière que vous aurez à gérer les PNJ, il faudra vous occuper de votre petite équipe, chacun ayant ses compétences, son équipement et son caractère avec un moral à l'image de votre ressenti pour eux. Il n'est pas rare qu'au coin du feu, l'un de vos compagnons vienne discuter avec vous et, selon l'issue de l'échange, qu'il soit regonflé à bloc ou soit pris d'une soudaine envie de mutinerie. Il vous faudra donc slalomer entre chaque individu et jongler avec leurs états d'âmes pour garder la cohésion du groupe.
CHEZ NOUS, ON MANGE A LA CARTE
Les maps regorgent d'éléments avec lesquels interagir. Il y a bien entendu les points d'intérêts dont vous ont parlé les donneurs de quêtes mais, à l'instar d'autres jeux du genre, vous pourrez aussi collecter de nombreuses matières premières et, surtout, tabasser quelques indigènes malchanceux et bandits un peu trop téméraires.
Toutefois, le jeu est, de par son emphase sur les dialogues et le scénario, relativement linéaire. Les cartes ne sont pas extrêmement étendues et sont composées de longs couloirs. Il faudra de fait bien souvent contourner une chaîne de montagnes ou un épais bosquet sans que l'on sache réellement où l'on va, en se laissant simplement guider par le level-design jusqu'à épuisement des points de déplacement. La nuit tombe alors et il vous faut établir un campement jusqu'au lendemain. Rince and repeat.
HOLY (K)NIGHTS
Oui mais, dialogues, exploration, campements, c'est bien gentil tout ça... Quand est-ce qu'on se bat, dans cette histoire ?
Lorsqu'il est temps de passer à l'affrontement, on choisit d'abord les heureux élus qui vont pouvoir se mettre joyeusement sur la tronche sachant que les blessés et malades ne sont pas sélectionnables. On peut ensuite les équiper et, une fois tout le monde prêt à en découdre, on arrive sur une petite carte pleine d'hexagones.
De fait, vos compétences tactiques (de joueur devant son PC, s'entend) seront votre seul réel espoir, et quand bien même, il ne sera pas rare que vos conquistadors sortent sévèrement amochés d'une escarmouche qui semblait pourtant anodine. Ce côté survivaliste des combats s'ajoute à celui de l'exploration de la jungle et rarement vous n'aurez aussi peur pour vos petits soldats que dans Expeditions Conquistador. Chacun d'entre eux est absolument vital à l'accomplissement de vos quêtes et vous n'aurez de cesse de les soigner et de les dorloter. Prévoyez deux ou trois docteurs dans votre équipe, vous en aurez besoin.
Comme si la difficulté intrinsèque des combats ne suffisait pas, on regrettera amèrement de ne pas avoir un aperçu du terrain avant de pouvoir choisir ses soldats. Il vous arrivera alors peut-être de partir à l'assaut d'une colline sans classe de corps à corps ou de devoir défendre une position sans mousquet pour vous aider. Choisir un équipe équilibrée est la clé du succès, quitte à installer une certaine monotonie dans les affrontements. Ceux-ci sont en effet nombreux et les maps, malgré l'aléatoire, finissent par toutes se ressembler, surtout lorsque l'on est obligé d'user souvent des même compositions d'équipes et des même tactiques de combat.
Notez qu'il est possible de régler la difficulté via un panel d'options assez larges. Toutefois, si vous aurez probablement envie de la baisser histoire de limiter les dégâts, n'espérez pas que le jeu devienne facile pour autant. Vous pourrez en diminuer l'agressivité et l'intensité mais l'IA restera hyper compétitive et les évènements aléatoires viendront toujours vous pourrir la nuit.
LES CONQUISTADORS DE LA FIN DU MONDE
L'ambiance se suffit également à elle même, les pistes audio sont grandioses à souhait et se fondent avec aisance dans les luxuriants décors.
Il reste bien quelques petits soucis de collisions et de pathfinding qui, on n'en doute pas, seront sûrement patchés par la suite, mais vous aurez vraiment de quoi se faire des cheveux blancs sur Expeditions Conquistador, d'autant qu'il ne pardonne rien et qu'il faudra un moment avant d'en maîtriser les subtilités.
Tout ceci, au final, donne à Expeditions Conquistador des allures de jeu de stratégie tactique bien plus classique qu'il n'y parait au premier abord, bien loin du Heroes of Might and Magic dont il revendique la filiation.
A VAINCRE SANS PERIL...
Plus je joue à Expeditions : Conquistador et plus j'ai un arrière goût de Livre dont vous êtes le héros interactif où le jeu n'intervient réellement que dans les phases de combat. Avec la sélection des personnages en début de partie et les maps hyper linéaires, j'ai presque le sentiment de jouer à un dungeon crawler party-based dans la plus pure définition du genre dans lequel on aurait intégré, plus ou moins de force, des tonnes de dialogues et le système de combat d'un Heroes.
Du coup, ça n'a ni le sentiment de progression d'un Eye of the Beholder où on fait réellement évoluer ses personnages ni la profondeur d'un Disciples où on construit soi-même son armée et gère une vraie campagne. A la place, ça étale sur la longueur d'un donjon le type de progression qu'on a dans un Panzer Corps où il faut ménager ses troupes d'une bataille à l'autre. Malheureusement, ça ne marche pas vraiment, tout simplement parce que les combats de Panzer Corps sont de missions longues à objectif, pas les instances aléatoires sur quatre fois quatre cases de King's Bounty.
Résultat, le jeu est terriblement répétitif et surtout incroyablement déséquilibré. La phase de roleplay dialoguée y est hyper importante mais incroyablement limitée par une quasi absence de gameplay là où, à l'inverse, combats et gestion de groupe sont un aspect secondaire de la quête mais deviennent des phases où il faut être extrêmement concentré parce que le gameplay y est vraiment profond avec plein de trucs à gérer/apprendre/comprendre.
AbounI, avec qui j'ai longuement discuté à propos du jeu, déplorait la disparition du personnage joueur tout en concédant que le jeu soit bel et bien un RPG de part son principe "choix et conséquences" et son emphase dialogue/histoire. Le problème, pour moi, c'est qu'en dehors des phases de parlotte, j'ai l'impression d'être devant un XCOM à mousquets. La disparition du PJ en dehors des phases dialoguées, je ne peux m'empêcher de la voir comme une mécanique de base de jeu de stratégie tactique : on se retrouve avec un général, dont on peut certes bricoler les stats en début de jeu, mais qui reste un général, impersonnel et transparent. Ce qui compte, c'est les pokéstadors qu'on choisit pour nous suivre, avec leurs percs et caracs données. Pour un peu, on a de la gestion de troupe à la Jagged Alliance.
Ce qui brouille les pistes, c'est la masse délirante de dialogues et le design résolument inspiré des Heroes, comme si les développeurs avaient essayé aussi fort que possible de faire un jeu de rôle mais qu'ils étaient, au final, incapables de faire autre chose qu'un jeu de stratégie. Un bon jeu de stratégie, qui plus est, mais inadapté au système d'un RPG tactique à la sauce Jon van Caneghem. Je pense qu'il aurait été bien plus à l'aise sur le modèle d'un Jagged Alliance ou d'un XCOM.

Expeditions Conquistador possède un background original, une gestion d'équipe très poussée, des quêtes à multiples résolutions et un sens tactique indéniable. Malheureusement, la difficulté de prise en main, la mise en place rébarbative des tâches nocturnes et les combats décidément trop répétitifs font que le jeu ne s'adressera qu'aux plus persévérants et impliquées d'entre nous. D'autant que le degré RPG apparaît finalement bien moindre qu'on ne le pensait et qu'il est préférable d'avoir son doctorat en langue anglaise pour pouvoir profiter des milliards de lignes de dialogues. Pour un premier effort, Logic Artists propose un jeu maladroit, incomplet, peut-être sorti trop tôt, mais attachant, exigeant et qui vaut largement le coup d'être essayé par l'amateur de jeux tactiques au tour par tour et tous les curieux du monde.
- Thème original, bien rendu
- Quêtes à tiroirs et évènements aléatoires
- Profondeur tactique
- Des tonnes de dialogues !
- ¿Habla inglés?
- Caméra perfectible
- Combats vite répétitifs
- Des tonnes de dialogues ?
7/10

L'AVIS DE ABOUNI
Conquistador promet sur le papier un RPG alléchant, avec des mécaniques de gameplay construites sur le principe du "party based" et du "story driven" bien amenées, mais qui se révèlent être, dans la progression d'une partie, pleines d'erreurs dignes du néophyte qu'est Logic Artist qui signe ici avec Conquistador son premier projet Kickstater au budget plus que modeste.
A savoir, l'absence quasi totale du PJ, mais surtout un déséquilibrage flagrant dans ses mécaniques principales : la gestion du groupe devient quasi caduque tant les ressource abondent et les combats en "phase based" deviennent trop simple dès lors qu'on aura gagné en grade et en équipement quand la seule force de l'ennemi est de toujours être en surnombre.
Ajoutons à cela une caméra agaçante pour venir gâcher la fête et transformer vos voyages dans un décor paradisiaque en véritable enfer.
Reste malgré tout l'immersion dans l'histoire, tant par ses riches dialogues interactifs respectant la règle d'or des "Choix & Conséquences" que par le rendu visuel, qui s'en sort avec tous les honneurs grâce aux portraits 2D ou aux écrans de chargements tout simplement splendides.
L'expérience de jeu, dans les premières heures de sa découverte, fait que les conquis t'adorent (oh yeah), toi Expeditions!!! Mais il n'empêche que les erreurs d'un gameplay répétitif et au devenir trop simpliste cassent autant l'ambiance que le challenge. Alors, on se dit que c'est dommage, car sans ces points faibles, l'expérience de jeu aurait gagné en intensité et lui aurait pu chatouiller le sans faute.
Mention spéciale à l'imposant Codex pour parfaire sa culture de cet épisode historique.
Gageons que pour la prochaine fois, Logic Artist aura appris de ses erreurs pour nous fournir un titre meilleur et gommer toutes ces petites imperfections qui rendent Conquistador aussi agaçant dans la durée qu'attachant par son histoire et son contexte.
Commentaires (22)

Donc il risque à la fois de frustrer les amateurs de RPG pur et de ne pas contenter les amateurs de stratégie.
Et les amateurs des deux genres se retrouvent avec un jeu qui n'est pas maitrisé ? C'est bien dommage parce que le thème des conquistadores est assez original.

Merci pour ton test Skoel


Le background me botte pas plus que ça a priori (même si ça change de l'heroic fantasy classique en effet), mais étant amateur de tour-par-tour et de jeux à texte, je pourrais bien me laisser tenter. J'attendrai une version boîte à pas cher^^
Message édité pour la dernière fois le : 06/06/2013 à 19:45

Le jeu me frustre parce que le le tour par tour et les jeux tactiques (qu'ils soient de rôle ou de stratégie), c'est ma came, et que je suis le genre de rôliste chiant qui rêve des builds qu'il fera le lendemain et mange des feuilles de stats au petit dej'. Mais il est impossible de haïr Conquistador ou de le trouver mauvais pour ses largesses dans un genre ou dans l'autre. Il est farci de bonnes idées et se révèle beaucoup plus profond qu'il n'y paraît. Il lui manque probablement quelques mois de développement pour mieux se tenir, y a des trucs faciles à corriger qui me feraient indiscutablement moins râler, mais dans l'absolu, on a une petite production tout à fait recommandable.
En ça, la note se veut le reflet de la totalité de mon test, et pas uniquement de sa dernière partie qui, je le répète, est tout à fait personnelle et n'engage plus le testeur qui pèse le pour et le contre mais bien "moi, skoeldpadda, joueur."
Et honnêtement, lui coller moins de 7 aurait été injuste et d'une mauvaise foi infâme.

Qu'on le considère comme un RPG incomplet, ou un tactic, je m'en fiche : le gameplay présenté me convient à merveille.
Seulement, le fait d'être en anglais dans un contexte historique avec une tonne de dialogue va gâcher mon plaisir.

http://conquistadorthegame.com/press/

Merci pour le test, complet et intéressant j'ai trouvé. Vous n'avez pas fait l'erreur de certains testeurs de dire 'mais ça c'est pas grave, c'est un petit indie... Et ça, on comprend, mais ils manquaient de moyens, pas leur faute...', vous dites ce qui va et ce qui va pas. Merci pour cette honnêteté


C'est vrai que vis à vis du test, nous ne sommes pas spécialement focalisés sur le fait que c'est un projet KS, ce qui peut lui procurer un certain capital "sympathie", nous avons préféré rester neutre sur ce point.
Concernant l'aspect RP, je voudrais expliquer à tous pourquoi le jeu obtient 3D, alors que PJ est placé en "retrait".Je pense que l'optique de Logic Artist était de placer le RP sous l'unicité d'un groupe plutôt que sous l'individualisme de chacun de ceux qui le compose, surtout vis à vis du role du PJ tel qu'on le conçoit dans beaucoup d'RPGs. Un point qui peut en dérouter plus d'un, mais qui je pense est nécessaire vis à vis du gameplay du titre.De ce fait, nous avons conserver cet état d'esprit pour soumettre le titre à notre grille.Si ça n'avait pas été le cas, sa quantification d'éléments RPGesque aurait donné un résultat beaucoup moins "élogieux".

Message édité pour la dernière fois le : 08/06/2013 à 13:40

"party based" et du "story driven"
Merci pour le test Skoeld.

Message édité pour la dernière fois le : 12/06/2013 à 08:58

Story driven se traduit au sens propre par "centré sur l'histoire." Un jeu story driven est hyper scénarisé, parfois (souvent ?) au détriment de la liberté du joueur, surtout à l'heure actuelle où la mode est aux production hyper scriptées. Pense The Witcher 2, par exemple.

https://www.kickstarter.com/projects/2128128298/expeditions-conquistador/posts/1223827
Yes, you're right
Faites vos jeux!
Message édité pour la dernière fois le : 07/05/2015 à 19:24

D' autant qu'on n'a pas terminé de traduire le 1erMais y a des circonstances atténuantes, car si je me souviens bien, chez Logic Artists ils vous ont pas facilités la tâche.


Expeditions: Conquistadores était un super jeu, mais cette équipe de développeurs nous a effectivement traité comme chose négligeable, pour ne pas dire plus. J'achèterai probablement le jeu, mais je ne veux plus jamais avoir à faire avec Logic Artists.